Le tournedos Rossini : un opéra gastronomique
Si le foie gras est le maestro et le filet de bœuf son premier violon, alors le tournedos Rossini est assurément une symphonie culinaire qui exige un vin à la hauteur de son panache. Un plat d’apparat, né d’une époque où opulence rimait avec raffinement, et qui appelle un flacon capable de jouer en harmonie avec la puissance de la viande, la volupté du foie et le velouté d’une sauce souvent truffée. Voici donc mes suggestions, choisies avec le soin d’un sommelier amoureux de la scène… et de la scène gastronomique.
Quand le vin parle le même langage que le plat
Un bon vin pour accompagner un tournedos Rossini, c’est un vin qui sait manier le verbe sans crier. Il doit avoir de la structure, du corps, une trame tannique élégante mais ferme – comme un costume bien taillé. Il faut aussi qu’il ait suffisamment de coffre pour soutenir l’onctuosité du foie et le caractère charnue du bœuf. Exit donc les vins fluets et timides ; ici, on veut du caractère, mais sans brutalité. Comme un discours de Churchill écrit par Baudelaire.
Plus funambule que belligérant, le vin doit se balader sur le fil tendu entre puissance et finesse. Cela tombe bien : certaines appellations françaises, françaises bien sûr – chauvinisme assumé – excellent dans cet exercice d’équilibriste.
Mes suggestions en rouge : noblesse et tempérament
Voici quelques bouteilles qui, à mon sens, peuvent faire vibrer ce plat composé, lui aussi, de plusieurs registres émotionnels. Elles ont toutes été testées en condition réelle… entendez par là : à table, en bonne compagnie, et dans un silence religieux entre chaque bouchée.
- Pomerol ou Saint-Émilion Grand Cru (Bordeaux) : Le merlot y déploie sa chair veloutée, ses tanins mûrs, et ce soupçon de truffe et de sous-bois qui répond comme un écho subtil à la garniture du plat. Un Pomerol bien né, c’est souvent le compagnon idéal du tournedos Rossini. Et si un Château Clinet ou un Trotanoy est dans les parages, laissez-vous faire.
- Côte-Rôtie (Vallée du Rhône septentrionale) : La syrah y joue une partition racée : notes fumées, épices douces, petite violette, et une profondeur minérale qui fait écho au côté terreux de la truffe. En bouche, le vin est tendu, puissant mais ciselé. Un vrai coup de théâtre gustatif. Une cuvée comme La Landonne de Guigal ou un domaine confidentiel comme Gangloff peuvent vous réconcilier avec tout un pan mystérieux de la viticulture.
- Madiran (Sud-Ouest) : Pour les amateurs de vin plus charpentés, mais dont les arômes restent sur la finesse, un Madiran à maturité apporte la densité requise. Ici, le cépage tannat brille par sa robustesse apprivoisée. Un Montus cuvée Prestige ou un Château Bouscassé en millésime évolué fera merveille. À noter : l’aération lui va bien, comme à un acteur de théâtre qui monte sur scène.
- Châteauneuf-du-Pape (Rhône méridional) : Assemblage généreux où grenache, syrah et mourvèdre se donnent la main, avec des notes de garrigue, de figue séchée et parfois même une subtile touche animale – parfaite pour accompagner le foie gras. Mais attention, ici veillez à ne pas choisir un vin trop chaud ou trop alcooleux. Le bon équilibre est la clef.
- Pauillac ou Margaux (Bordeaux) : Plus classiques, mais tout aussi nobles. Pauillac pour ses tanins serrés, son ossature solide, sa complexité aromatique. Margaux, plus charmeur, presque féminin dans sa délicatesse florale. Ces vins jouent la carte du raffinement et de la durée : ils savent sublimer le plat sans jouer les solistes envahissants.
Des alliances surprenantes : et si on osait ?
Avis aux aventuriers du goût, il existe quelques pistes moins attendues mais tout à fait crédibles pour accompagner un tournedos Rossini. J’en ai fait l’expérience un soir d’hiver, dans un bistrot lyonnais où le chef, un ancien jazzman, m’a envoyé un bandol rouge de vieille vigne avec un Rossini façon tataki. Ce fut… dissonant au début, puis diablement harmonieux.
- Bandol rouge (Provence) : Mourvèdre profond, presque giboyeux, avec une trame qui court sur des décennies. Un bandol de 10 ou 15 ans d’âge, comme ceux du Château Tempier ou du Domaine de Terrebrune, offre assez de mâche et de finesse pour faire honneur au plat. Surtout si la sauce joue une partition réduite, sans trop de sucrerie.
- Pinot noir bourguignon (Côte de Nuits) : Plus risqué, mais à tenter avec une version “plus légère” du Rossini, ou un foie poêlé avec peu de sauce. Un Chambolle-Musigny ou un Vosne-Romanée, tout en dentelle tannique et en finesse aromatique, peut alors créer un contraste séduisant. On joue le vin comme une clarinette, en contrepoint émotionnel.
- Vin étranger : un Barolo du Piémont – Le nebbiolo, avec ses tanins poudreux, sa robe pâle trompeuse et son parfum de rose fanée et de goudron (si, si), a de quoi tenir tête à la richesse du plat. Le secret : prendre un Barolo bien évolué, dont la puissance s’est muée en grâce. Oddero, Conterno, Mascarello – là encore, on entre dans la haute couture œnologique.
Le Rossini, ce dandy exigeant
Derrière ses atours de plat bling-bling, le tournedos Rossini demande en réalité une grande subtilité dans les accords. Trop de bois détruirait l’aspect mi-cuit du foie. Trop d’extraction ? Et c’est le filet qui disparaît sous la masse. C’est comme une bonne pièce de théâtre : chaque acteur – bœuf, foie gras, pain brioché, sauce – doit se faire entendre, sans couvrir les autres. Le vin, c’est la fosse d’orchestre : il accompagne, il souligne, il peut vibrer plus fort à certains moments, mais il doit savoir s’effacer à d’autres.
Choisir le bon vin dépendra aussi de la manière dont le chef – ou le cuisinier d’un soir – monte son Rossini. Avec une sauce Madère nappante ou juste un trait de fond de veau ? Le foie est-il poêlé ou servi froid ? Le filet est-il saignant comme un cri, ou cuit à point comme une confidence ? Tous ces détails guideront votre alliance.
Des suggestions pratiques : bouteille, température, ouverture
Quelques conseils de service, glanés au fil des ans – et des verres :
- Préférez un vin avec au moins 5 à 10 ans d’âge. Les tanins auront fondu, l’émotion montera plus vite.
- Pensez à carafer les vins un peu timides, surtout les bordeaux encore fermés. Une heure d’aération les rendra plus loquaces.
- Température de service : 16-18°C – pas plus, surtout pour les vins sudistes qui montent vite.
- Un verre tulipe à large ouverture permet au vin de dialoguer à pleine voix avec le plat.
Et pour l’âme
La bonne bouteille pour un tournedos Rossini n’est pas seulement une question de tannin ou de millésime : c’est une affaire d’émotion et d’intention. Il y a des soirs où l’on veut impressionner, et d’autres où l’on veut se souvenir. Certains vins impressionnent comme des feux d’artifice, d’autres laissent une traîne aromatique dans la mémoire gustative qui dure des mois. Les deux ont leur place. À vous de choisir votre tempo.
Enfin, n’oublions pas que Rossini, en plus d’avoir laissé son nom à ce monument gastronomique, était aussi un bon vivant, amateur de grands crus et d’airs d’opéra. Il aurait sûrement approuvé qu’on élève ce plat avec un vin qui raconte lui aussi une histoire. Qu’elle soit baroque, secrète ou flamboyante, à votre table d’en écrire les premiers vers.