Dans le terrier du goût : le lapin, ce gibier presque oublié
Il y a dans le lapin une modestie désarmante. Ni la majesté du cerf, ni la rusticité bourrue du sanglier, et pourtant… Quelle chair fine, délicatement musquée, surtout quand elle s’est nourrie d’herbes folles et de vent de garrigue. Trop souvent réservé aux souvenirs du dimanche chez Mamie, le lapin mérite qu’on le ressorte de l’oubli, à la cocotte ou en sauce, pour le marier au vin comme on scelle une alliance : avec intention, avec émotion, avec terroir.
Alors, quel vin pour accompagner le lapin ? Tout dépend de la manière dont on le cuisine, bien sûr. Mais plus encore, osons puiser dans les accords régionaux, ceux qui ont résisté à l’épreuve du temps et des fourneaux. Car là où le lapin court, la vigne n’est jamais bien loin.
Lapin à la moutarde ? Pensez Bourgogne… mais pas forcément celle que l’on croit
Ah, le fameux lapin à la moutarde ! Une icône de la cuisine bistrot, toute en onctuosité et en piquant velouté. La moutarde vient réchauffer la chair tendre sans l’écraser, à condition d’être bien dosée, évidemment — mot d’ordre : point trop n’en faut, sous peine de noyer le vin.
Dans cet accord, on pense spontanément à la Bourgogne. Et oui, mais pas uniquement au sempiternel Pinot Noir de la Côte de Nuits. L’appellation Côtes du Couchois, plus au sud, offre des Pinot aux accents rustiques très charmants, qui savent murmurer à l’oreille du lapin sans faire d’esbroufe. Une robe légère, des tanins soyeux, et cette petite note de cerise griotte qui vient flatter le palais entre deux bouchées nappées de sauce.
Pour les plus curieux, essayez aussi un Aligoté élevé en fût. Oui oui, vous avez bien lu. Loin des clichés de l’apéritif anodin, l’Aligoté peut, quand il est travaillé avec soin, offrir une acidité tendue comme un archet et des nuances d’agrumes confits qui dansent en cadence avec la moutarde.
Lapin aux pruneaux : cap sur le Sud-Ouest
Le lapin aux pruneaux, c’est un peu comme un vieux slow des années 70 : rétro, sucré-salé, indémodable. À la fois généreux et plein de tendresse, avec ces touches de fruit noir compoté qui rappellent une fin d’été un brin nostalgique…
Il appelle sans hésiter un vin aux tanins fondus mais encore vibrants. Et là, le Sud-Ouest est notre meilleur allié. On pense à un Cahors légèrement évolué, où le Malbec a perdu de son cuir pour laisser place à une prunelle confite, solaire et enveloppante. Un accord d’une harmonie presque instinctive, comme si la nature elle-même les avait pensés ensemble.
Envie d’originalité ? Jetez un œil du côté du Marcillac. Ce petit vin de l’Aveyron, élaboré à partir du cépage Mansois (ou Fer Servadou pour les intimes), offre une acidité farouche, terreuse, presque animale. Parfait pour réveiller les papilles entre deux morceaux de viande confite. Étonnant, inoubliable.
Lapin chasseur : entre Rhône et Loire, cœur balance
S’il y a bien un plat appelé à fédérer les amateurs de sauces mijotées et de ragoûts champêtres, c’est le lapin chasseur. Tomates, oignons, champignons des bois… On est ici dans une iodité forestière, un goût de marche à l’ombre sous les frondaisons.
L’idéal ? Un rouge structuré, mais pas dominateur. Un Crozes-Hermitage, peut-être — le Syrah s’y fait poivré, animal, sanguin. Il dialogue à merveille avec les champignons et les sucs de cuisson. Ses notes de violette et de cuir livrent un contrepoint élégant à la fraîcheur végétale du plat.
Mais n’excluons pas la vallée de la Loire. Un Saumur-Champigny bien mûr, sur le Cabernet Franc, peut aussi accomplir de petites merveilles. Il apporte un côté fuselé, droit, presque vineux, qui équilibre la densité de la sauce sans l’étouffer.
Et pour les plus téméraires ? Un vieux cépage comme le Pineau d’Aunis, aux notes légèrement poivrées et mentholées, peut offrir un clin d’œil subtil aux aromates du plat, tout en prolongeant sa légèreté en bouche. Un vrai poème rustico-raffiné.
Lapin à la bière ou au cidre : la revanche des blancs
Lorsque le lapin prend un bain de mousse, qu’elle soit blonde, brune ou ambrée, le vin rouge cède parfois sa place. C’est le règne des blancs amples, charnus, capables de tenir tête à la complexité maltée des bières ou à l’acidité discrète d’un cidre fermier.
- Avec un lapin à la bière ambrée : tournez-vous vers un Chardonnay bourguignon riche (Meursault, Montagny), ou pourquoi pas un Chenin blanc de Vouvray, demi-sec, pour souligner la caramélisation du plat.
- Avec un lapin au cidre : pas de panique, l’accord régional est tout trouvé. Un cidre brut de Normandie ou un poiré du Domfrontais peut même accompagner jusqu’à la dernière bouchée. Mais si vous tenez à rester dans le monde du vin, optez pour un Muscadet sur lie bien tendu, ou un Riesling allemand sec, qui viendra mettre en valeur la fraîcheur fruitée du plat.
Et ici, n’ayez pas peur de servir légèrement frais : un blanc vers 11-12°C, un rouge léger à 14°C. Le lapin aime la nuance, pas la lourdeur.
Lapin rôti, juste thymé… un terrain de jeu pour puristes
Voici le lapin dans sa plus noble simplicité : rôti entier, généreusement enduit d’huile d’olive, parsemé de thym, juste saisi puis cuit lentement au four, entouré de légumes racines fondants. Aucun artifice, si ce n’est le parfum entêtant d’un terroir ressuscité.
C’est dans ces plats épurés que l’accord vin prend une autre dimension : on parle ici de l’épure qui sublime, du vin qui écoute avant de parler. La Gascogne avec ses blancs sur le Colombard ou le Gros Manseng sec est une piste prometteuse. C’est frais, herbacé, salin parfois, comme une brise sur le maquis.
Pour un rouge ? Tentez un Trousseau du Jura ou un Gamay de Chiroubles. Ces vins légers, souples, aux arômes floraux et d’épices fines, offrent le contrepoint idéal à la viande tendre et sa fine croûte dorée.
Un dernier mot, entre deux bouchées
Loin d’être un simple amuse-bouche de chasse, le lapin révèle, selon sa cuisson, un éventail sensoriel complexe. Il peut être refuge de tendresse ou terrain d’exploration sauvage, compagnon d’élégance ou de rusticité assumée. Le vin, lui, doit s’y adapter, danser au même rythme sans piétiner la grâce fragile du plat.
À vous donc, chers explorateurs de la table, de redonner au lapin ses lettres de noblesse. Ouvrez vos caves, fouillez vos régions oubliées, et redonnez aux accords vins-mets cette dimension poétique et charnelle qu’ils méritent tant. Car après tout, comme disait Colette, grande amoureuse du terroir : « Il n’est rien de plus précieux que le modeste qui ose la délicatesse. » Et le lapin, lui, l’ose à merveille.