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Champagne Delagne et Fils : mon avis de sommelier sur cette maison familiale

Champagne Delagne et Fils : mon avis de sommelier sur cette maison familiale

Une maison discrète aux bulles éloquentes

Il est parfois des maisons de champagne comme des romans qu’on découvre par hasard : discrets, presque cachés sur l’étagère, mais dont quelques pages suffisent à captiver les sens. La maison Delagne et Fils fait partie de ces trésors murmurés entre passionnés – pas encore saturés de hashtags ni agressés par la surenchère marketing. Une bulle de sincérité donc, qu’on a envie de faire éclater doucement au bord des lèvres.

Installée à Bar-sur-Seine, au cœur de la Côte des Bar – terroir souvent moins médiatisé que ses cousins autour d’Épernay ou Reims – la famille Delagne trace son sillon depuis plusieurs générations. Ici, pas de flonflons, ni étiquettes dorées clinquantes, mais une philosophie artisanale revendiquée, et une bulle qui raconte une histoire : celle d’un engagement familial pour un champagne d’identité, aussi sincère qu’expressif.

La Côte des Bar, ce sud champenois au charme souterrain

Si les territoires ont une voix, la Côte des Bar chante une partition différente : à peine plus méridionale, mais radicalement plus charnelle. On y trouve un sol dominé par les marnes kimméridgiennes, cousin géologique de Chablis, parfait pour accueillir le pinot noir – cépage-roi du coin – qui compose chez Delagne l’épine dorsale de leurs cuvées.

Ce terroir donne des champagnes voluptueux, francs, au fruit généreux ; moins austères, peut-être, que certaines cuvées de la Montagne de Reims. Mais il y a dans cette sensualité une force tellurique, une vérité que l’on ne triche pas. Et ça, la maison Delagne l’a bien compris.

Un assemblage d’émotion et de précision

En tant que sommelier, je goûte beaucoup – parfois trop. Alors quand un champagne me parle dès le premier nez, j’écoute. Et celui de Delagne vous attrape sans détour avec ses arômes de fruits blancs mûrs, de mirabelle compotée, parfois une subtile touche miellée, comme un clin d’œil rassurant au temps qui passe bien.

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En bouche, la texture est ample mais droite, presque éducative pour les papilles, avec une tension bien calibrée, une finale salivante. On sent le pinot noir jouer sa partition tout en nuances, soutenu parfois par une touche de chardonnay pour l’éclat, ou de meunier pour la rondeur. Chaque gorgée semble taillée avec une intention précise, comme un discours bien préparé mais jamais trop ampoulé.

Des cuvées à découvrir – et à raconter

Si l’on entre dans l’univers de Delagne et Fils, plusieurs cuvées méritent une halte prolongée. Parmi elles :

  • La Cuvée Brut Tradition : carte de visite éclatante, elle incarne la maison dans ce qu’elle a de plus accessible, mais pas banale. Fruitée, doucement épicée, c’est un champagne de repas, capable de tenir la dragée haute à une volaille en sauce ou une blanquette revisitée.
  • La Réserve Brut : plus structurée, elle gagne en verticalité. Belle vivacité, bulles fines, et cette longueur légèrement citronnée qui appelle les huîtres ou un carpaccio de Saint-Jacques à l’huile de noisette.
  • La Rosé : attention, pas une rosé de terrasse trop sucrée. Ici, on parle d’un rosé d’assemblage sérieux, avec une touche vineuse, un soupçon de griotte et une texture presque tactile. Ideal sur des desserts à base de fruits rouges… ou tout simplement les jours de pluie pour voir la vie en rubis.

Une philosophie familiale ancrée dans le vivant

Ce qui frappe chez les Delagne, au-delà des bulles, c’est l’humain. On travaille ici en famille, avec humilité mais avec conviction. La vigne y est pensée comme un prolongement du corps, respectée dans ses dynamiques naturelles. Si le label bio n’est pas encore affiché, on sent que le vivant est au cœur des pratiques – le sol est travaillé, les traitements minimisés, et l’attention portée à chaque grappe est presque amoureuse.

J’ai eu la chance d’échanger avec David Delagne lors d’un passage impromptu à la propriété. Son regard clair, un peu rieur, m’a raconté la pluie de juin, les vendanges matinales et la tension d’une fermentation capricieuse. Mais surtout, il m’a dit cette chose rare : « chaque année est à réapprendre ». Une leçon d’humilité et de passion vraie, comme le vin devrait toujours en transmettre.

Accords mets & bulles : quelques inspirations de saison

Parce que le champagne est fait pour être bu – et pas seulement admiré dans une flûte fine à la lumière d’un lustre baroque – voici quelques mariages heureux pour sublimer les cuvées Delagne :

  • Sur la Cuvée Tradition : essayez-la avec un risotto automnal aux champignons et copeaux de parmesan, ou un ceviche de dorade au yuzu pour réveiller la trame fruitée.
  • La Réserve Brut : irrésistible avec une poitrine de canard aux figues ou un vieux comté de 24 mois. L’accord terre-mer-fromage fonctionne à merveille pour ce type de profil.
  • Le Rosé : osez-le sur un dessert… mais pas seulement. Une terrine de lapin aux pruneaux, une salade de betteraves rôties et fromage de chèvre tiède, et vous verrez cette cuvée s’animer comme une chanson envoûtante.

Delagne, ou l’art du contre-pied

Dans un monde où les grandes maisons trustent les vitrines et les palmarès, il est salutaire – voire essentiel – de se tourner vers ces artisans du goût, qui font le choix du calme face à la clameur. Delagne, c’est un contre-pied joyeux, un rappel que le champagne n’a pas besoin d’artifice pour exister. Qu’il peut se faire confidentiel, presque domestique, et pourtant non moins grand.

Alors, si vous cherchez à étonner la table sans vider le portefeuille, à raconter une histoire au-delà du simple “bulles pour bulles”, ouvrez une bouteille de Delagne. Prenez le temps de l’écouter, de la sentir, de la vivre.

Et qui sait… Peut-être qu’en refaisant le monde entre deux bouchons, vous entendrez dans ses bulles la voix discrète mais tenace d’un terroir qui n’a pas fini de faire parler de lui.

Où se procurer ces pépites effervescentes ?

Les champagnes Delagne ne sont pas légion en grandes surfaces (et tant mieux !). Préférez les cavistes pointus, parfois quelques sites spécialisés… ou mieux encore : faites le détour. Une halte à Bar-sur-Seine n’est jamais une mauvaise idée, surtout quand elle se termine par un verre en caveaux, les chaussures pleines de craie et le cœur un peu plus léger.

Adrien Lemoine

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