Un cépage princier au cœur des Alpes
Elle s’appelle Altesse. Rien que le nom évoque déjà un parfum de majesté, un soupçon d’aristocratie viticole, comme si ce cépage portait en lui des étoffes de velours, un accent savoyard et quelques histoires de cour. Ce vin blanc typique de Savoie est souvent moins connu que ses cousins chardonnay ou riesling, mais il mérite qu’on le découvre, qu’on l’apprivoise, qu’on le savoure. Et surtout, qu’on le raconte.
L’Altesse, aussi appelée Roussette — mais vous verrez, ce n’est pas si simple — pousse sur les coteaux ensoleillés du sillon alpin. Là où le ciel joue avec les nuages et où les vignes bravent des hivers francs pour mieux exulter au printemps. Ce cépage blanc est intimement lié à la région savoyarde, incarnant dans son jus toute la verticalité des montagnes et la fraîcheur cristalline des lacs voisins.
Un peu d’histoire : entre duchesses et légendes
Impossible d’aborder l’Altesse sans évoquer son aura légendaire. Une histoire murmure qu’elle fut importée depuis Chypre au XIIIe siècle par une princesse… ou serait-ce une duchesse ? Peu importe finalement, le vin aime les mythes autant que les terroirs. Cette princesse, en épousant un seigneur savoyard, aurait glissé dans ses bagages quelques ceps de vignes chypriotes, donnant naissance au cépage que l’on connaît aujourd’hui sous le doux nom d’Altesse.
Romantisme mis à part, les analyses ampélographiques modernes tendent plutôt à classer l’Altesse parmi les variétés alpines, très adaptées aux conditions locales, donc probablement née ici, entre pierres et vents. Mais laissons un peu de place à l’imaginaire : après tout, chaque gorgée de vin est un conte en soi.
Ne l’appelez pas Roussette trop rapidement
Voilà une petite confusion fréquente mais tout à fait pardonnable : on parle souvent de « Roussette de Savoie » pour désigner ce vin, mais Roussette n’est pas le nom du cépage — c’est l’appellation. C’est un peu comme appeler un pinot noir « Bourgogne rouge » : pas totalement faux, mais un brin imprécis.
Le cépage s’appelle bel et bien Altesse. Quand on lit « Roussette de Savoie » sur une étiquette, on parle donc d’un vin issu d’Altesse, mais élevé selon les exigences spécifiques de l’appellation. Subtilité de terroir oblige.
Et l’INAO — ce gardien du patrimoine liquide français — veille au grain (de raisin) : pas question, par exemple, de mélanger Altesse et un autre cépage sous l’AOC. L’Altesse règne seule sous la bannière de Roussette, comme il sied à son rang.
Où pousse l’Altesse ? Le royaume des crus
Si vous flânez un jour en Savoie, entre deux tours de télécabine ou trois fondues trop copieuses, ouvrez l’œil : l’Altesse s’épanouit dans plusieurs crus bien distincts, où elle dévoile une facette unique de sa personnalité.
- La Roussette de Savoie Frangy joue la délicatesse, avec une touche florale et des arômes d’amande douce, presque mielés.
- Le cru Marestel, sur la commune de Jongieux, offre une version plus opulente, aux notes de fruits secs, parfois légèrement oxydatifs, flirtant avec ceux d’un vieux chenin.
- Le cru Monthoux est plus droit, minéral, presque tranchant. Comme un matin d’hiver qui claque le visage.
- Enfin, Monterminod, discret, mais d’une complexité incroyable quand il est bien mené : pierre à fusil, coing, poire… De quoi ouvrir une conversation entre amis comme entre initiés.
Tous ces crus se situent entre 300 et 500 mètres d’altitude, sur des sols à dominante argilo-calcaire. Le terroir y joue comme un accordeur d’orchestre, révélant chaque nuance du cépage.
Un vin aux parfums évocateurs
Et en bouche ? Là commence le véritable chant de l’Altesse. Un vin blanc sec, souvent très frais, avec une matrice aromatique où s’invitent coing, poire mûre, noisette verte, fleurs blanches et parfois une touche délicieusement miellée avec l’âge.
Certains millésimes, élevés un peu plus longuement, développent des arômes de curry doux, de cire d’abeille, de pomme au four… Des textures qui évoquent la soie, mais une soie tirée à la corde : c’est tendu, salivant, éclatant. Un vin qui sait être élégant sans ostentation, comme ces montagnards discrets dont chaque ride raconte un monde.
À table avec l’Altesse
L’Altesse appelle la gastronomie comme un port appelle ses marins. On la croit sage, presque réservée, et puis à table, elle se transforme. Elle coupe la richesse d’un reblochon affiné, enlace la finesse d’un filet de perche, joue avec le croquant d’une salade tiède de lentilles et copeaux de parmesan.
Quelques accords à tenter, les yeux fermés ou ouverts (on vous recommande tout de même d’ouvrir la bouteille) :
- Poissons de lac : une féra ou un omble chevalier, simplement grillés, avec beurre citronné et quelques herbes folles.
- Viandes blanches : ris de veau poêlés, purée de céleri et jus réduit… l’Altesse apprécie les alliances riches.
- Fromages de Savoie : beaufort, tomme crayeuse, persillée de Tignes… le vin glisse entre les textures, révise l’équilibre.
- Cuisine asiatique : pad thaï légèrement citronné ou nems aux herbes — la fraîcheur et l’aromatique du cépage font merveille.
Et pour les audacieux ? Essayez une tarte fine à la poire et crumble de noisette, légèrement caramélisée. Servez un vieux millésime de Marestel bien rafraîchi. Regardez les regards se croiser, les sourcils se froncer de surprise, puis se relâcher en un sourire complice. C’est ça, la magie.
Conservation et potentiel de garde
Contrairement à certains blancs taillés pour la jeunesse, l’Altesse aime prendre son temps. Certaines cuvées, notamment en cru Marestel ou Monterminod, peuvent se garder dix ans, parfois plus. L’acidité naturelle et la complexité aromatique assurent une évolution fascinante, vers des notes d’épices douces, de fruits secs et de minéralité profonde.
Bien entendu, toutes les bouteilles ne sont pas appelées à vieillir — certaines sont magnifiques après deux ou trois ans seulement. Mais gardez toujours un œil averti sur cette capacité d’évolution. L’Altesse n’a pas usurpé son nom.
Quelques domaines à (re)découvrir
Si vous souhaitez poursuivre l’expérience dans le verre, voici quelques maisons emblématiques — ou prometteuses — où l’Altesse trouve un écrin à sa hauteur :
- Domaine Dupasquier (cru Marestel) : des vins profonds, parfois un brin rétro, mais toujours touchants de sincérité.
- Domaine de Méjane (Frangy) : finesse et élégance, à boire jeune pour capturer ce fruit vif.
- Les Fils de René Quénard : une approche rigoureuse, avec une belle diversité d’expressions.
- Domaine Blard & Fils : des élevages maîtrisés, qui révèlent la sophistication du cépage sans le maquiller.
N’hésitez pas à demander conseil à votre caviste, qui saura vous orienter selon l’intensité recherchée, la garde souhaitée, ou votre prochain menu. Car oui, le vin commence peut-être à la vigne, mais c’est à table qu’il prend toute sa grandeur.
Pourquoi on l’aime tant (et pourquoi vous l’aimerez aussi)
Parce que l’Altesse n’est pas un vin tape-à-l’œil. Elle ne séduit pas par l’exubérance, mais par la justesse. Elle sait être solaire sans brûler, ronde sans s’alourdir, expressive sans bavarder. Un blanc savoyard qui murmure à l’oreille du palais plutôt qu’il ne crie au nez.
En la découvrant, vous redécouvrirez aussi la Savoie. Pas celle des cartes postales et des fromages fondus (quoique), mais celle des labeurs de coteaux, des vendanges tardives sous la brume, des artisans du goût qui préfèrent le silence à la grandiloquence. Une région où l’on grimpe pour mieux redescendre… un verre à la main.
Alors, prêt à offrir à votre cave une place royale ? Faites entrer l’Altesse.