Un cépage au nom chantant : Grolleau, le mal-aimé en quête de lumière
Il y a des cépages qui font tourner les têtes, d’autres qu’on murmure avec respect, et puis il y a ceux qu’on découvre par accident, au détour d’une dégustation imprévue ou d’une anecdote de vigneron rieur. Grolleau appartient à cette dernière catégorie. Peu connu du grand public, parfois regardé de haut par les puristes, ce cépage rouge de Loire, humble et discret, mérite pourtant qu’on lui accorde un moment d’attention, tant il a à offrir… à qui sait l’écouter.
Dans cet article, je vous propose un voyage entre les tuffeaux d’Anjou et les embruns de la Loire-Atlantique, à la découverte d’un cépage singulier. Grolleau, c’est un nom qui claque sur la langue, comme une syllabe oubliée d’un poème médiéval. Et pourtant, derrière cette consonance un brin rustique se cache une finesse insoupçonnée.
Les origines discrètes, presque modestes, du Grolleau
Ce cépage rouge à peau noire — dont le nom viendrait du vieux mot « grolle », sous-entendu « corneille », peut-être par analogie avec la couleur sombre de ses baies — est principalement cultivé dans la Vallée de la Loire, notamment en Anjou, autour de Rablay-sur-Layon et de ses collines ondoyantes.
Il a probablement vu le jour entre les bras moussus du Maine-et-Loire au XIXe siècle, né d’un croisement incertain entre locaux bien implantés. Longtemps cantonné aux vins de soif et aux rosés légers comme ceux de l’Anjou Rosé ou du Rosé d’Anjou, il a malheureusement hérité d’une réputation de vin “facile”, parfois jugé acide, voire inconsistamment fruité. En somme : un mal aimé en bottes de caoutchouc dans un bal de gala.
Mais récemment, et c’est là que le récit devient savoureux, quelques vignerons éclairés ont décidé de redonner ses lettres de noblesse à ce cépage dédaigné, en l’amenant vers la vinification en rouge sec ou même en versions pétillantes… Et croyez-moi, les résultats sont parfois étonnants.
Caractéristiques gustatives : entre fraîcheur juteuse et accent végétal
Le Grolleau, quand il est travaillé à cœur, déploie un éventail aromatique tout en nuances. Il ne prétend pas rivaliser avec la puissance d’un Cabernet Sauvignon ou la profondeur soyeuse d’un Pinot Noir. Non, son terrain de jeu à lui, c’est la fraîcheur, la fluidité, l’insolence d’un fruit croquant qui vous claque la joue comme une brise d’avril.
On y retrouve :
- des arômes de cerise, de framboise acidulée, parfois de groseille
- des touches végétales, parfois poivrées ou herbacées si les rendements ne sont pas maîtrisés
- une acidité vive, presque désaltérante, parfaite pour les jours brûlants où le palais réclame un peu de fraîcheur
- un tanin modéré voire discret, ce qui rend le vin facile d’approche
Le Grolleau se montre particulièrement charmeur en vin rouge léger, où son petit côté gouleyant évoque un Beaujolais affranchi ou un Gamay en tongs. En rosé, c’est une étreinte de fruits rouges, avec cette finale acidulée qui appelle un deuxième verre (et un troisième, soyons honnêtes).
Des vignerons qui croient au miracle
Quelques noms méritent d’être chuchotés entre deux verres, comme autant de gardiens d’un secret bien gardé.
- Olivier Cousin – le trublion d’Anjou, artisan farouchement naturel, nous régale avec un Grolleau libertaire, rustique et vivant, qui sent la terre, le fruit, la poignée de main dans les vignes.
- Patrick Corbineau – proche du Chinonais, il s’amuse à vinifier le Grolleau comme un vin de garde, avec des résultats d’une finesse étonnante, presque pinotesque.
- Sébastien David – dans ses cuvées en amphore, il réussit à transcender le profil habituellement simple du Grolleau en lui donnant une complexité aromatique presque méditative.
Il y a là une résurgence, une petite révolution, diront certains, menée sans tambour ni trompette mais à coup de gestes précis, de vendanges manuelles et de levures indigènes.
Les accords mets et vin : Grolleau, l’invité qui s’invite partout
On pourrait croire que ce vin léger n’a sa place qu’à l’apéro ou lors des piques-niques improvisés, bouteille plongée dans l’eau tiède de la glacière vintage. Erreur. Le Grolleau, dans ses plus belles expressions, a plus d’un tour dans sa bonde, et peut accompagner une jolie palette de plats, en particulier dans le registre végétal ou aux inspirations asiatiques.
- Accord végétarien : une poêlée de légumes grillés à l’huile d’olive, un tian de courgette bien confit ou même une pizza aux poivrons et mozzarella… Le Grolleau, avec son acidité, équilibre parfaitement les saveurs grillées et les sauces tomates légèrement sucrées.
- Fromages : attention, privilégiez les fromages à pâte molle type Brie ou Saint-Marcellin, ou osez la bûche de chèvre légèrement affinée : l’acidité du vin fait un joli contrepoint à la richesse crémeuse du fromage.
- Cuisine asiatique : un Tataki de thon ou un bœuf sauté aux oignons sauce soja ? Le Grolleau rouge légèrement rafraîchi (aux alentours de 14°C) mettra en valeur les arômes sans surcharger les papilles.
- Accords audacieux : un taco de porc effiloché au piment doux et coriandre, un plat marocain aux légumes et raisins secs ? N’hésitez pas, le Grolleau est le vin des bons vivants qui aiment sortir des sentiers battus.
Et en dessert, me direz-vous ? Pourquoi pas ! Une tarte à la fraise peu sucrée ou une salade de fruits rouges au basilic et au poivre s’entendront à merveille avec un rosé de Grolleau bien frais.
Un mot sur le Grolleau gris
Petite curiosité génétique : le Grolleau existe aussi en version « gris », une mutation naturelle à peau rosée, surtout utilisée dans des vins gris ou rosés très clairs. Là encore, la finesse est reine, avec des notes plus discrètes de fruits blancs, des accents d’agrumes et une finale presque saline qui appellerait des huîtres ou une salade de fenouil et agrumes.
Ce Grolleau gris est devenu une coqueluche de certains vignerons bios de Loire, qui voient en lui un cépage d’avenir dans le contexte climatique actuel : peu exigeant, relativement résistant, offrant des vins digestes et élégants. Vous le croiserez notamment sous l’appellation Vin de France, souvent en mono-cépage ou dans des assemblages aussi surprenants que réussis.
Pourquoi redécouvrir le Grolleau aujourd’hui ?
Parce qu’il incarne tout ce que le vin peut avoir de ludique, de vivant et d’accessoire au bonheur. Dans un monde viticole parfois prisonnier de ses codes hiérarchiques, Grolleau offre une échappée. Il ne se prend pas au sérieux, et c’est précisément pour cela que les vignerons les plus engagés le redécouvrent aujourd’hui avec des yeux brillants et des mains tachées de lies.
C’est aussi un vin qui correspond merveilleusement à nos envies actuelles : moins d’alcool, plus de buvabilité, plus de fraîcheur. Un vin pour trinquer, pour discuter, pour partager des plats simples ou des recettes invraisemblables de tatie Monique, tout en gardant le sourire légèrement pourpre.
Alors, la prochaine fois que vous arpentez les étagères d’un caviste passionné — ou mieux, que vous flânez entre les ceps d’un petit domaine bio d’Anjou — tendez l’oreille. Grolleau n’est jamais loin. Et ce qu’il chuchote sent bon la cerise, la terre fraîche et les amitiés durables.