Imaginons une assiette fumante, où la vapeur s’élève comme le filet d’un encens sacré. Au cœur du plat, une souris d’agneau lentement confite, telle une promesse de volupté carnée, enveloppe l’air de ses sucs profonds, presque mystiques. La viande, effleurée plus qu’elle n’est coupée, tombe d’elle-même dans l’assiette, comme si le couteau se savait ici inutile. Il ne manque qu’un vin — non, le vin — capable d’étreindre cette chair tendre dans une étreinte tannique parfaitement dosée. Car la souris n’est pas toutes les viandes. Elle appelle des rouges puissants, éduqués, charnus, mais jamais vaniteux. Suivez-moi, bouchon en main, on y va.
Pourquoi la souris d’agneau exige un rouge avec du coffre
C’est un fait : la souris d’agneau aime les forts caractères. On parle ici d’une cuisson lente, où le collagène se dissout dans le jus, où l’agneau s’imprègne d’aromates, parfois de miel, souvent d’ail et de thym, toujours de patience. Ce plat alchimique réclame un vin structuré — pas un rouge fluet qu’un côte de blette pourrait dominer. Non, il lui faut des tanins, de la mâche, de la générosité en bouche, mais aussi une acidité capable de trancher dans le gras fondant de l’agneau.
Autrement dit : oubliez le Pinot noir de l’Yonne, cette fois ce n’est pas son moment. Il lui faut un costume plus épais, taillé dans les étoffes du Sud, ou issu des pierres bleues du Bordelais ou du Rhône septentrional.
Mais assez de théorie, passons aux choses sérieuses : voici quelques alliances qui ont déjà fait soupirer plus d’un palais.
La magie d’un Châteauneuf-du-Pape avec l’agneau confit
Ce géant du Sud n’a rien à prouver. Assemblage flamboyant, souvent dominé par le grenache, le Châteauneuf-du-Pape est un vin solaire et musclé, au fruit charnu et aux notes de garrigue brûlante. Face à la souris d’agneau, il se dresse, chaud et ample, comme une contrebasse jouant une cantate au coin du feu. Il enveloppe la viande sans jamais l’écraser. Les notes de cuir et d’épices douces s’accordent comme un vieux couple avec le jus réduit de cuisson. S’il en reste quelques gouttes au fond de l’assiette, n’hésitez pas à y tremper votre pain – Adrien ne vous jugera pas.
Un Madiran, pour un accord viril et velouté
Pour les amateurs de vin avec des épaules et du caractère, un Madiran bien élevé sur ses lies peut faire des merveilles. Le tannat, cépage principal de cette AOP du Sud-Ouest, a beau avoir la réputation d’un dur à cuire, il se métamorphose, après quelques années en cave, en velours tannique aux nuances de fruits noirs, de cacao et d’épices poivrées. Avec une souris d’agneau mijotée au romarin, l’accord sonne comme une danse basque au ralenti – intense, sensuelle, teintée d’un accent rocailleux. Si vous avez un Château Montus qui dort quelque part, c’est le moment de le réveiller.
Le Crozes-Hermitage, finesse rhodanienne à ne pas sous-estimer
Si vous recherchez un rouge plus ciselé, tout en restant structuré, le Crozes-Hermitage, en 100 % syrah, est un alternative subtile et élégante. On y retrouve ces jolis arômes de violette, d’olive noire et de poivre blanc, qui dialoguent merveilleusement avec une viande longuement rôtie et assaisonnée aux herbes de Provence. L’équilibre entre acidité fraîche et charpente modérée en fait un compagnon idéal pour une souris d’agneau confite aux légumes racines. Servez-le légèrement rafraîchi, et écoutez les invités se taire soudainement à la première gorgée – effet garanti.
Bordeaux : ces crus classés qui jouent l’accord parfait
Il serait dommage de passer à côté de la richesse bordelaise. Un Saint-Estèphe ou un Pomerol bien né, aux tanins assouplis par le temps, peut offrir une harmonie merveilleuse avec une souris d’agneau confite au vin rouge. Le merlot apporte du moelleux, tandis que le cabernet sauvignon structure l’ensemble comme les piliers d’une abbaye gothique. On plonge alors dans un paysage aromatique de fruits noirs, de tabac blond, parfois de truffe – un contrepoint idéal aux saveurs profondes du plat.
Privilégiez les millésimes déjà assouplis, car un vin trop jeune risquerait de rentrer en duel frontal avec la douceur de la cuisson. Parfois, l’élégance consiste juste à attendre un peu.
Et côté terroirs moins attendus ?
Accords audacieux ne veut pas dire fantaisies illogiques. Voici quelques appellations plus confidentielles qui méritent toute votre curiosité autour d’une souris d’agneau :
- Faugères : En Languedoc, ce terroir schisteux donne des rouges intenses, parfois fumés, naturellement en phase avec les cuissons lentes.
- Patrimonio (Corse) : Un rouge de Niellucciu peut surprendre avec sa mâche et ses notes salines, surtout si la souris a été cuisinée avec de l’ail noir ou des accents méditerranéens.
- Minervois-la-Livinière : Un Cru du Languedoc aux tanins enrobés, mêlant romarin et cerise noire. De la poésie liquide.
- Cahors : Le malbec y déploie ses ailes sombres et minérales, particulièrement convaincantes avec un jus de viande réduit au vin rouge.
Les petits détails qui changent tout
La sauce, toujours elle. Une souris d’agneau au miel et aux épices ne réclamera pas le même vin qu’une cuisson plus brute, juste au thym et au laurier. Voici quelques tableaux gustatifs pour mieux vous guider :
- Avec une souris d’agneau au cumin et miel : Optez pour un Côtes-du-Roussillon Village ou un Maury sec. Les notes de fruits confits, de garrigue et d’épices s’épanouissent face à ce plat aux accents orientaux.
- Avec une cuisson au vin rouge et échalotes : Un Bordeaux structuré ou un Cahors bien tannique accentue les notes de réduction et prolonge les sucs sur la langue.
- Avec une garniture de légumes grillés et herbes de Provence : Le Sud s’impose : Châteauneuf-du-Pape, Vacqueyras ou Faugères élèvent ce dialogue en modernité rustique.
Un mot sur la température de service : osez servir vos rouges légèrement rafraîchis (16-17°C), surtout si le plat est brûlant. Cela permet de dompter l’alcool et de révéler plus vite les arômes tertiaires, souvent timides au début.
Et si on osait un vin étranger ?
Pour ceux que les frontières n’arrêtent jamais vraiment, quelques rouges étrangers remplissent parfaitement leur mission :
- Un Rioja Reserva : Élevé longuement en barriques, soyeux, riche, épicé : un pur délice avec une souris d’agneau au jus réduit et romarin.
- Un Primitivo ou un Negroamaro des Pouilles : Le soleil italien fait ici vibrer les tanins et sucre naturellement les accords, notamment si l’agneau est cuisiné façon osso buco.
- Un Shiraz australien bien cadré : Pas trop bodybuildé, mais bien fruité, poivré et structuré — surtout sur une version légèrement épicée du plat.
Finalement, dans cette histoire de vin et d’agneau, il y a comme une joute amoureuse : l’un doit porter l’autre, sans jamais chercher à s’imposer. Le vin n’est là ni pour séduire seul, ni pour dominer. Il doit, comme un bon partenaire de danse, s’accorder aux pas fumants de la viande, l’enrouler dans ses arômes, l’accompagner dans ses silences.
Alors à vous de jouer : sélectionnez votre appellation, allumez le four à basse température, faites mijoter longuement — et ouvrez cette bouteille avec délice, nez tourné vers la promesse du plat. La cérémonie peut commencer.